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Tada Senseï : force et vitalité à 89 ans

 

Hiroshi Tada, 9ème Dan Aïkikaï, fondateur du Ki No Renma, était l'invité d'une conférence exceptionnelle ce vendredi 29 juin 2018 à la Maison de la Culture du Japon à Paris.

 

Il se tient debout sur l’estrade, bien droit devant son pupitre et regarde s’installer les derniers arrivants. Simple regard circulaire glissé par-dessus ses lunettes et qui embrasse la salle de ses yeux noirs. Ce soir, le public lui appartient.

 

Une force tranquille, un regard appréciateur de professeur ; on voit qu’il a l’habitude. Des conférences, il en fait depuis bien longtemps et s’amuse même un peu de tous ces gens bien sages qui attendent qu’il commence, l’air poli.

 

Sur l’écran derrière lui, des images de stages, où on le voit enseigner sur le tatami. Force est de constater qu’il bouge encore très bien pour son âge, que ses mouvements sont puissants et amples et sa précision est effarante à voir.

 

Tada Hiroshi Senseï, unique ème dan Aïkikaï (1) et toujours instructeur au Hombu Dojo (2), propose une pratique puissante et fluide et impose son charisme de chef de file ; dernier élève direct du O Senseï d’après-guerre, formé par lui, toujours vivant. Et sa vitalité est un vrai plaisir.

 

Sa voix est forte et claire. Un timbre qui résonne et qu’on n’attendrait pas chez un monsieur de cet âge. Bon d’accord, on a le droit d’être alerte à près de 90 ans. Mais cet homme-là est tonique et marque tout de suite son style.

 

Des arts traditionnels au Japon sur lesquels il est invité à s’exprimer, il rappelle que le contexte a beaucoup d’importance : dans une culture syncrétique qui de tous temps s’est efforcée d’assimiler les idéologies venues d’horizons divers et notamment des pays voisins (la Chine, l’Inde), la place du spirituel est indissociable du travail physique.

 

On n'aurait pas attendu d’un senseï japonais de cet âge, tout imprégné de sa culture, un discours pour tout dire aussi cartésien. Cet homme-là respire la modernité, est fortement ancré dans son temps et construit un exposé international. Il n’y a que la traductrice qui peine un peu pour traduire – en temps réel – son discours, clair, très élaboré, abondamment illustré. Un authentique discours d’intellectuel.

 

Il parle de l’influence du Zen, si présente dans la culture japonaise, pour teinter toute démarche personnelle d’un idéal de réalisation de soi.

 

Il explique que si cette-dernière est laissée libre à chacun (3), l’accent doit être porté sur la concentration, la capacité à se libérer des tensions pour se rendre disponible à l’étude.

 

Que c’est cet effort-là, si nécessaire en aïkido, qui permet d’aborder, par la technique, la fluidité du corps et la joie de l’esprit.

 

Car, ajoute-t-il, taquin, aujourd’hui il n’existe plus de samouraï, n’est-ce pas ?

 

Dans la salle, le public est studieux, comme à l’université. La traductrice se répand en notes, pour rendre avec nos mots tous les détails de son discours.

Lui-même, un peu contrit, se tourne vers elle bientôt et sourit ; il a beaucoup parlé…

Un auditeur au fond, qui n’en peut plus, s’efforce de sortir discrètement et se dirige vers les toilettes.

 

 

Mais Hiroshi Tada n’en a pas fini.

 

D’une voix sonore, presque vibrante, dont on perçoit qu’au fond elle lui donne aussi contenance, il nous délivre un mot sur O Senseï.

Il sait que le public attend cela de lui, qu’il est le mieux placé pour en parler, qu’on voudrait recueillir ses confidences. Aussi ses yeux pétillent.

« Quand j’ai rencontré Morihei Ueshiba pour la première fois, j’avais juste vingt ans et un costume d’étudiant… »

 

«Et ce qui m’a le plus frappé, c’est que c’était un monsieur très poli ».

 

Un peu de consternation dans la salle.

 

Alors il ajoute, presque sur un ton d’excuse :

« Vous savez, quand la bombe H est tombée sur Hiroshima, j’avais juste quinze ans. Toute ma jeunesse a été marquée par cet effort de reconstruction que le Japon a mené dans les années qui ont suivi… »

 

Désormais, plus personne ne bouge.

 

Bien que la conférence soit terminée.

Hiroshi Tada, visiblement surpris, scrute gentiment sa salle.

 

Parce que maintenant, on voudrait simplement rester assis auprès de lui, pourquoi pas près d’un feu de cheminée et qu’il se mette à nous raconter toute sa vie.

 

 

 

 

 

(1) Hombu Dojo : Dojo central de l’Aïkikaï, voir références.

(2) Hiroshi Tada, 9e Dan Aïkikaï, voir éléments biographiques.

(3) Pour compléter l’entrainement en aïkido, Hiroshi Tada crée, à partir des années 70, une méthode de respiration et de médiation propre à faciliter la concentration et l’apprentissage, appelée Ki No Renma (développement de l’énergie vitale).

 

 

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