L’aïkido intrigue. Au sein des disciplines martiales, il offre une approche originale ; entre pureté de style et discipline sans agressivité, il y a là une vaste palette, qui attire un public forcément hétérogène.
Il est vrai que l’absence de compétition, la particularité même de la relation au partenaire – non un adversaire, mais plutôt un miroir de soi-même, une mise en situation concrète pour l’étude – en désarçonne plus d’un.
Car comment envisager une progression, quand on ne cherche plus à dominer l’autre, mais bien à construire avec lui, grâce à lui… ce qui fait toute la richesse et la créativité de cette discipline ?
Comment aimer et croître dans l’approche pédagogique, sans céder à la tentation de prendre l’autre de haut ?
Oui, il y a paradoxe ; et le mélange des genres existe bel et bien sur le tatami.
Comme il est plus facile, dans un petit club, de préserver la convivialité dans le travail, si toutefois le professeur résident veille au grain.
S’il préserve le dialogue entre les uns et les autres.
S’il donne des outils, qu’on travaille sérieusement, tout en montrant combien chacun a à apprendre et que le succès qui vient n’a pas toujours la valeur de l’ancienneté ? Car parfois le bon sens fait beaucoup.
Évidemment l’affaire se corse en stage ; parce qu’on est plus nombreux, parce qu’on y vient souvent pour bachoter, parce que s’il n’y a pas de compétition, chacun tient à son passage de grade.
Comment faire autrement ? Il faut bien marquer sa propre progression. Il faut bien se raccrocher à quelque-chose.
On fait « mieux », pour un temps – car on se rendra compte plus tard que ce « mieux » là n’est que transitoire, qu’il faudra encore le ré-envisager, qu’il n’est qu’un palier de niveau.
Et pour tout dire, qu’il n’a rien à voir avec l’Aïkido.
C’est sans doute enfoncer une porte ouverte, mais qui tend si vite à se refermer, que de réaffirmer la suprématie de l’écoute. Et dès qu'on passe la porte d’un club plus grand, les enjeux s’enchainent et prennent de l’ampleur, inexorablement.
Il est vrai que chacun vient sur le tatami avec son propre bagage.
Qu’on a besoin de ses aspirations, pour nourrir un gros travail technique, dans le labeur et l’étude, car le corps se façonne et cela prend du temps.
Que l’esprit s’en libère demande aussi des efforts.
Mais quand on sort du tapis, si avec l’autre on n’a pas créé de connivence, si le sourire échangé un bref instant n’est pas là pour marquer que là oui, on la tient, cette petite facette insoupçonnée, ces deux gestes reliés qui n’en font qu’un et s’enchainent, alors-même qu’ ils n’étaient pas prévus...
Alors là fatalement l'on passe à côté de quelque chose. Et ce, quel que soit son bagage ou son niveau...
Et quand j’entends des « là, je me suis fait plaisir » monologuer, sans référence aucune au partenaire, je me dis : et l’autre, qu’est-ce qu’il en a pensé ? »
Ô comme ils sont nombreux, les techniciens de talents, que je redoute d’avoir jamais à croiser.
Car à tout niveau, le plus difficile reste encore de se remettre en cause.
D’où le précieux regard du débutant, qui ne sait pas bien faire, mais qui s’attache à tout.
Et la magie veut que le gradé dans sa superbe, cherche précisément le débutant, croyant pouvoir l’aider à devenir expert.
Mais le débutant lui, tout content, se tourne vers l'ami, le visage souriant, celui qui, quel que soit son niveau, aura pris le temps de partager avec lui...
Un moment.
Note : Remerciements :au travail d'Aïki-Kohaï, qui s'attache avec humour, dans ses articles, à conserver la fraîcheur du nouveau venu, sortant l’aïkido de son discours d’initiés – ce grand piège – avec le succès qu'on lui connaît.
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