Le jeu des contraires au service du travail martial.
Que de glose autour de ces notions-phares, dans une discipline où la culture japonaise est toujours présente, en filigrane ; Omote pour "l'avant", Ura pour "l'arrière"(1), avec toutes les nuances et interprétations que peuvent susciter, chez nous occidentaux notamment, une définition aussi sobre.
Or sur le tatami, ces deux notions sont partout présentes. Pas possible d'y échapper, du point de vue déjà de la seule construction.
Omote et Ura, deux faces d'un même système, notions prépondérantes pour la codification des techniques. Omote : je rentre sur l'intérieur ; Ura : je sors sur l'extérieur. Rien qu'avec cela il y a déjà de quoi s'occuper.
Des placements précis à former, qui servent à construire un catalogue et permettent de trouver ses repères dans le travail de base.
Pour autant, je me retrouvai fort étonnée quand j'assistai au travail d'un maître japonais pour la première fois.
C'était en l'occurrence, maître Yamashima (2), rencontré lors d'un stage ; tout imprégné qu'il était de sa culture et de l'approche concrète, si déroutante pour nous, qui caractérise ceux qui ont eu la chance de travailler un temps auprès d'O Senseï.
Devant nos yeux ébahis d'occidentaux, à qui on ne demandait plus d'exécuter un catalogue mais bien d'entrer dans l'action et par là-même d'ouvrir quelques pistes, le voilà qui se met à nous expliquer qu'en fait de différences entre nos deux notions, finalement, il n'y en a pas. La distinction ne s'opère pas dans le travail à la japonaise.
"Omote ? Si vous êtes dans le temps, vous anticipez votre partenaire. Vous êtes au cœur de l'action, qui s'opère naturellement. Si vous êtes en retard,
Ura va être le bienvenu".
Replacées du point de vue de la logique de l'action, voilà que nos deux notions prennent une autre envergure.
Il ne s'agit dès lors plus de classifier, mais bien de repérer une intention.
Se placer, désormais, c'est savoir être à l'écoute.
Omote et Ura : pour le centrage, l'équilibre, une réponse adaptée à une situation sans cesse différente, on va avoir indissociablement besoin des deux.
Pour faire le lien avec le partenaire : deux faces, deux approches, absolument complémentaires.
Il n'y a pas d'action réussie sans prendre la mesure de sa portée.
Dès que le partenaire fait obstacle, il nous faut prendre la mesure de son approche ; et
c'est peut-être le propre d'une discipline qui "ne veut pas faire mal" et où l'échange prévaut, que d'user de cette forme de mise à distance, alors même qu'il s'agit de construire le
mouvement.
C'est à ce prix que peut s'envisager la progression technique : nuancer l'évident...
Omote et Ura, c'est un travail mental, tout autant que physique, que le pratiquant appréhende graduellement.
Et c'est là toute la dialectique, si étonnante, de notre discipline, mais si enrichissante aussi, que d'avoir besoin de sortir un moment de l'action pour mieux en reprendre le cours.
(1) Omote et Ura, deux notions complémentaires dans la culture japonaise : https://fr.wikipedia.org/wiki/Omote_et_ura
(2) Takeshi Yamashima : références biographiques ici (tous nos remerciements au site aikido.com.free.fr pour la qualité de son travail documentaire)
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