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Verticales limites

Un de ces petits moments où tout bascule...

 

Qui n’a jamais connu cette impression si désobligeante, pour tout pratiquant qui suppose avoir acquis ses bases sur le tatami, que de se lancer dans sa technique, sans y penser, tout content et de s’apercevoir qu’en fait elle ne passe pas, mais alors pas du tout, rien à faire ?

 

Qui ne doit pas faire face – assez régulièrement – à ce trépignement qui vous donne fatalement l’envie de grogner ?

 

Quoi ? Tant de temps passé sur le tapis, à décortiquer les placements, les déplacements, à  construire enfin son déséquilibre. Et puis finalement, pas d’acquis ? Rien compris ? Et tout serait encore à recommencer ?

Rien n’est plus agaçant que ce genre de constat.

 

Et quoi de plus frustrant, que de le constater sur Ikkyo.

Ikkyo, la forme de base par excellence. Celle qu’on croit dominer, tant on l’a rencontrée maintes et maintes fois.  Ikkyo, la toute première technique qu’on montre aux débutants, je fais un pas de côté, je me recentre sur mon partenaire.  Et je rentre. Un classique, cet Ikkyo, qu'on croit pouvoir former à l’infini, sans se poser de questions, une fois les placements assimilés.

 

Et bien non.  On le fait quinze fois, cent fois et à la cent-unième : brusque changement ; il n'y a plus moyen de rentrer Ikkyo.

Ce qui paraissait si évident ne l’est finalement pas du tout.

 

Le partenaire vous bloque, on ne sait comment et le pire c’est qu’il le fait sans s’en rendre compte. Il reste bien droit, planté sur ses appuis et il n’y a plus moyen de le bouger.

 

Qu’est-ce qu’il a, mon Ikkyo ? qu’est-ce qui se passe aujourd’hui ? Je suis mal luné ? C’est mon partenaire qui fait du zèle ? Est-ce que ce qu’il me donnait quand j’étais débutant, aujourd’hui il ne veut plus le laisser passer ?

 

On notera, si c’est la cas, que c’est plutôt bon signe.

 

Aujourd’hui le contexte a changé. Ce que je répétais machinalement et globalement, il faut le dire, par habitude, ne suscite plus la même réaction.  Et même plus de réaction du tout.

 

Shomen Uchi, Ikkyo et le bras reste bloqué, ne descend pas. Barrage parfait, bien droit, solide et bien ancré : un mur.

 

Shomen Uchi, Ikkyo. Si fluide et si intense, à condition que la technique passe. Face à cet obstacle nouveau, me voilà obligé de tout réévaluer.

 

Je peux bien essayer de pousser ; mais on en voit déjà la limite. Le mouvement sera faux, si au moins j’arrive à le placer.

 

Quand on est face au mur, est-ce qu’on essaie encore de le pousser ?

 

Il va bien falloir que je change quelque-chose, sur cette technique ! Il va bien falloir que je m’y prenne autrement.

Alors , il faut bien l’avouer, à ce moment et bien qu’on parle d’une discipline physique, il peut bien apparaître opportun de s’accorder un temps de réflexion.

 

Face à mon mur, je bouge. Je change de position. Effectivement cela n’a rien d’inutile. Je me recentre sur mon axe. Je descends sur mes appuis ; tous les outils qui sont à ma portée.

 

Et quoi qu’on en pense sur le coup, en maugréant,  fatalement le miracle arrive.

 

J’ai changé de posture, de direction ; sans pourtant perdre de vue mon but ultime.

 

Le mur prend toute la place ? C’est moi qui me déplace.

 

Je me crée un nouvel horizon.

 

Il n’y a pas de mur infranchissable.  Plus tard, quand je serai grand, j’apprendrai même à l’anticiper.

Qui n’a pas ressenti la liberté qu’apporte cette constatation étrange : pour aller plus haut, je dois descendre ; pour aller plus loin, porter de l'attention à mes pieds.

 

Pas à pas. Temps par temps. Et ainsi surgissent de nouvelles pistes…

 

C’est toujours un bon point pour le mur. On n’est pas loin de penser qu’il va vous bousiller la journée.  Et en fait, il vous fait un grand cadeau : il vous aide à construire de la confiance.

 

 

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